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Femmes libres à travers l’art

« XY » réalisé sur ma commande par Karine Corbier

Voici le discours que j’ai écrit, bien sûr, et que j’ai prononcé le 8 mars 2024 à l’occasion du vernissage de l’exposition Femmes libres à travers l’art, organisé par l’artiste peintre Karine Corbier à Vaulnavey-le-Haut du 5 au 10 mars 2024 à l’espace éphémère le 587.

Ma chère Karine,

Mesdames, messieurs les créatrices, créateurs et artistes,
Mesdames, messieurs,

Réglons tout de suite, si vous le voulez bien, la question de la légitimité que j’aurais, ou pas, en tant qu’homme, à discourir. Aujourd’hui d’une part, en cette journée internationale consacrée aux droits des femmes. Et d’autre part à l’occasion de cette exposition, Femmes libres à travers l’art, exposition de créatrices, de créateurs, d’artistes, tous à leur manière, essentiellement des femmes. 

Mesdames, ce qui vous caractérise sur le plan génétique, c’est que vous possédez deux chromosomes X.

Veinardes !

Je ne vous égale pas sur ce plan, mais au moins, j’en possède un. Un seul.

Je n’ai donc pas réussi la perfection qu’en ce qui vous concerne vous avez atteinte.

On pourrait m’objecter : « Oui, mais vous, vous possédez un chromosome Y ». Oui… Bien sûr… Vous voulez dire un X auquel on a coupé une patte ! Issu donc de votre deuxième X. J’ai toujours douté de cette histoire, vous savez, Ève qui serait née d’une côte d’Adam. Génétiquement, c’est plutôt l’inverse que je trouve convaincant.

Et puis, plus sérieusement, ce Y qui me caractérise, je ne suis pas sûr de pouvoir, de vouloir m’en enorgueillir. Car si l’air du temps devient, ici ou là, un peu plus respirable d’année en année, et je ne parle pas ici du dérèglement climatique, c’est depuis qu’il s’épure, cet air du temps, grâce à vos combats, mesdames, il s’épure des déviances de ce Y, de sa part de honte. Honte du César à Roman Polanski, honte à Depardieu au moins pour ses propos publics obscènes en attendant le verdict d’un éventuel procès, honte, mesdames, à vos assassins ordinaires de tous les trois jours, honte d’être un homme a dit Primo Lévi, écrivain, au sortir du camp d’Auschwitz.

Et surtout, gloire aux combats menés souvent journellement par tant de femmes, depuis leur lutte pour le quotidien que presque toutes les femmes du monde connaissent, jusqu’aux combats pour leur liberté́, comme celui de Ekaterina Dountsova à qui on interdit de se présenter à la prochaine présidentielle russe, celui des courageuses femmes iraniennes qui redressent leurs têtes nues, ou celui des Afghanes souvent pour leur simple droit de vivre. On pourrait égrener les exemples longtemps, la soirée n’y suffirait pas…

Alors oui, si je suis peu fier de mon Y, je suis fier de mon X et je mise tout sur lui aujourd’hui pour y glaner un tant soit peu de légitimité.

Et puis il me reste un argument. Nous sommes réunis autour de cette exposition de créatrices, de créateurs et d’artistes essentiellement femmes, orchestrée par mon amie Karine, elle-même femme et artiste. Et si la femme m’a prié de me livrer à cette petite prestation aujourd’hui, en me laissant carte blanche, peut-être parce qu’il m’arrive de temps en temps, oh, bien humblement, je vous assure, d’écrire quelques textes, l’artiste m’extrait de la misérable condition de ma gent.

Car l’art, c’est le moyen par lequel l’être humain se détache, justement, de la nature. Son produit n’a pas comme finalité d’être utile. Il est destiné à la contemplation. Il est lié à la question du beau, à son universalité. L’œuvre d’art est une production unique, originale, issue de l’imagination créatrice de l’artiste. Artiste, par bonheur, mot épicène, c’est-à-dire qui revêt la même forme aux deux genres, qui s’écrit par conséquent de façon identique au masculin et au féminin, et qui peut donc nous faire transcender nos différences, parfois détestables, dont je vous parlais à l’instant et nous réunir enfin dans la permanence, oserais-je dire l’éternité, de l’œuvre d’art.

Ce qui fait une œuvre d’art, c’est son originalité, je l’ai dit. Le génie consiste à produire ce qui ne saurait obéir à aucune règle déterminée.

Ce qui fait une œuvre d’art, c’est son exemplarité. L’œuvre est un modèle. L’œuvre géniale sert d’exemple au bon goût.

Ce qui fait une œuvre d’art, c’est l’inexplicable. Parce que le talent du génie est inné. Le génie lui-même ne saurait expliquer comment il parvient à réaliser ses œuvres.

Originalité, exemplarité, inexplicabilité, ce sont les trois caractéristiques du génie énoncées par Emmanuel Kant à propos de l’œuvre d’art. Trois caractéristiques que vous allez pouvoir rencontrer et admirer tout au long de cette exposition.

Mesdames, au nom de mon X, je suis fier de me trouver parmi vous aujourd’hui pour admirer le génie de vos pairs. Mot hasardeux, ici, aujourd’hui, dangereux, équivoque, employé à dessein.

Parce que les artistes femmes ont émergé seulement à la fin du 19e siècle. Les artistes femmes ont dû se battre, là encore, pour s’imposer comme artiste tout court, ni muses ni soumises désormais, car jusqu’alors trop souvent sous le joug d’un père ou d’un frère.

Alors, à l’occasion du vernissage de cette manifestation, Femmes libres à travers l’art, à l’occasion de cette bouffée d’art, et pour conclure cet hommage, j’en appelle à un de mes arts de prédilection, la littérature. Porte-parole autoproclamé, mais invité, de la gent masculine aujourd’hui, je veux terminer à la manière de Jean d’Ormesson dans son discours d’accueil de Simone Veil à l’Académie française. En ce 8 mars 2024, alors qu’on scelle aujourd’hui même le droit à l’IVG dans notre constitution, pouvais-je trouver meilleures références ?

Je lui emprunte son texte à monsieur d’Ormesson, en l’adaptant un peu, afin qu’il rende hommage, individuellement, à toutes les femmes, à chacune d’elles. Jean d’O. ne m’en voudra pas, j’en suis sûr, lui qui les aimait tant. Il y évoquait son admiration pour cette femme, Simone Veil, admiration qu’il partageait avec presque toutes les Françaises et presque tous les Français. Je le cite, mais en m’adressant à vous toutes : « Cette admiration, Madame, Mesdames, vous la suscitez, bien sûr, vous-mêmes. Mais quelque chose d’autre s’y mêle : du respect, de l’affection, une sorte de fascination. Beaucoup voudraient vous avoir, selon leur âge, pour confidente, pour amie, pour mère, peut-être pour femme de leur vie. Je baisse la voix, on pourrait nous entendre : avec l’immense majorité des hommes, nous vous aimons, Mesdames. »

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