Grossier avec élégance
Il est certaines chansons de Brassens que je n’ai jamais chantées en public. « Le bulletin de santé », par exemple.
Si dans la chanson « À l’ombre des maris », il nous prévient :
« Ne jetez pas la pierre à la femme adultère
Je suis derrière »
dans « Le bulletin de santé », ce coquin de Brassens s’enorgueillit de dévergonder d’honorables épouses ! Et avec quelle grossièreté tristement humaine ! Qu’on en juge :
« Si j’ai trahi les gros les joufflus les obèses
C’est que je baise, que je baise, que je baise,
Comme un bouc un bélier, une bête une brute
Je suis hanté le rut, le rut, le rut, le rut »
Je n’avais jamais vraiment accroché avec ce texte, m’étant arrêté paresseusement à la surface des choses. J’estimais sans doute la grossièreté superflue !
Jusqu’à ce que le confinement me fit entrevoir – comme souvent avec Brassens – un sens plus profond et bien plus élégant à cette grossièreté peut-être plus apparente que réelle.
J’aurais dû d’ailleurs m’en douter. Car en matière de vulgarité, Brassens nous avait prévenus, donné son mode d’emploi en quelque sorte :
« Autrefois quand j’étais marmot
J’avais la phobie des gros mots
Et si j’pensais « merde » tout bas
Je ne le disais pas.
Mais aujourd’hui que mon gagne-pain,
C’est d’parler comme un turlupin
Je n’pense plus « merde » pardi !
Mais je le dis.
J’suis l’pornographe
Du phonographe
Le polisson
De la chanson. »
Je profitais, disais-je, du confinement pour me plonger dans « La littérature pour les nuls » car j’éprouvais le besoin depuis quelque temps de revisiter toute l’histoire de notre littérature depuis les chansons de geste, à l’aube de la littérature française vers la fin du XIe siècle jusqu’à nos jours.
Et quelle ne fut pas ma surprise d’y découvrir ce beau poème de Mallarmé écrit au XIXe siècle : « L’azur ».
Ce texte aux accents baudelairiens est une quête élitiste de la beauté et de l’idéal. Il dépeint la décadence du monde et le morcellement moral et spirituel de l’être. Il refuse la réalité jugée laide et imparfaite. Il relate le questionnement qui accable le poète condamné à vivre parmi le vulgaire.
(Commentaires tirés du travail d’une classe de seconde d’un lycée de Montargis à visiter ici)
Eh bien ce magnifique poème se termine par un alexandrin magique :
« Je suis hanté l’azur, l’azur, l’azur, l’azur »
auquel il nous faut nous référer en entendant Georges s’époumoner :
« Je suis hanté le rut, le rut, le rut, le rut »
Alors Brassens, parfois déguisé en grossier personnage, mais avec tellement d’élégance intérieure !