Et si vous écriviez votre vie ?
Je vous propose de vous accompagner dans un voyage singulier, le vôtre, dans notre si collectif monde de réseaux. Je vous accompagne dans l’aventure de l’écriture de votre vie ; tout ou partie ou un de ses épisodes, un de ses aspects. Votre vie entière ou vos voyages, votre aventure professionnelle, votre ou vos amours, une amitié hors du commun, un témoignage, une blessure, une enfance… Sagesse, passage de témoin, thérapie, réminiscence, valeur, sens, connaissance, reconnaissance, etc., pour vous-même — ou l’un de vos proches —, les raisons de raconter peuvent être nombreuses.
Racontez-moi votre vie, je vous l’écris.
Si je devais écrire ma vie, je commencerais peut-être comme ça :
L’univers-bloc
L’avenir existe déjà dans le futur, avec ses événements en place, attendant notre arrivée au bord du chemin, transportés que nous sommes par le Temps, véhicule inconnu au moteur mystérieux.
Un peu comme lors d’un déplacement en train, on aperçoit le paysage défilant par la fenêtre alors qu’en réalité c’est le train qui parcourt à vive allure un paysage immobile attendant notre passage.
Cette conception du Temps, c’est celle de l’univers-bloc auquel croyait Albert Einstein.
Et si nous connaissions à l’avance les événements qui nous attendent, continuerions-nous le voyage ? Choisirions-nous plutôt de descendre à une prochaine station, voire de sauter en marche, ou tenterions-nous d’actionner à distance quelque aiguillage afin de changer le cours des choses ?
La vie s’exprime dans notre moment présent. Elle éclot dans chaque instant fugace arrivé du futur, aussitôt disparu, déjà fondu dans le néant.
Je suis né…
Je suis né un premier mai. À 10 h du matin.
Pendant le défilé.
Ma mère me l’a répété sans arrêt. Une gloire ! En tout cas pour elle. Le présent a signifié qu’il me destinait à manifester avec le monde ouvrier. Une marraine-fée s’est penchée sur mon berceau, et de sa baguette magique m’a chargé un programme-sortilège : tu iras défiler avec tes Camarades. Tu es issu du monde ouvrier, et comme ton grand-père maternel, tu te distingueras dans le combat syndical et politique, tu y entraîneras les autres et tu te libéreras de tes chaînes.
C’est la luuutte finaaaale !
Déjà ? Mais je viens à peine de naître… Ça s’emballe pas un peu vite, là ?
Du moins, mon anniversaire sera-t-il férié.
Mais pas de risque d’oublier ma destinée.
Mes parents
J’ai toujours vu mes parents travailler. Levés tôt, partis tôt, rentrés tard pour recommencer chaque jour.
Jamais de vacances.
Quand je me lève, mon père est déjà parti. Le soir, nous sommes à table sans lui. Les journées de travail sont longues, l’ambiance de l’attente un peu pesante. Table, chaises, meubles de cuisine en formica blanc sur carrelage noir et blanc. Tendance sixties. Puis tout à coup, on toque à la vitre. Une petite musique rythmée effectuée avec le doigt replié, de la première à la deuxième phalange. Quatre coups. Une noire, une croche pointée, une double croche, une noire pointée. De la musique dans ma vie, déjà. Et c’est le AHHH de ma mère, de mon frère et le mien. Surtout de ma mère…
Tiens, elle était inquiète ! Comme tous les jours. Mais de quoi donc ?
Je me précipite dans le couloir. Mon père est en train d’y rentrer son véloSolex. Par-dessus son éternelle salopette bleue, il est cuirassé d’une grosse canadienne marron. Il exhale un frais parfum d’extérieur, de travail, de camion, de sucre, d’huile de vidange, de celtique, de trucs enivrants d’un monde inconnu.
Ma mère, je sais pas comment elle se débrouille. Elle travaille tout le temps et elle est présente quand même. Quand il le faut. Elle a appris l’ubiquité, sans doute. Elle est couturière. Elle dirige un atelier de confection aux nombreux postes de travail : la coupe, le surfilage, le piquage…
Elle emploie souvent des mots rigolos pour parler de son boulot : passepoil, patron, coupeur, surjeteuse, épaulette, pied-de-poule, vichy, courtepointe, canette… Elle dirige l’atelier parce qu’elle maîtrise tous les postes. Et parce qu’elle est dégourdie.
Elle est contre-dame. Que des mots rigolos !
Elle fait aussi les courses.
Elle fait aussi la cuisine.
Elle nettoie aussi la maison. Et le linge. Et nous.
Elle nous emmène aussi aux bains publics, le samedi. On y loue une cabine avec une baignoire.
Elle nous emmène aussi au cinéma le samedi soir, mon frère et moi. On va voir les films de Josélito ou de « capet d’épée » — encore un drôle de mot —. Il est jamais là, mon père, le samedi soir. Je crois qu’il va jouer aux cartes. Dans un bistrot. Avec P., son ami instituteur.
Il ne fait jamais les courses.
La cuisine, non plus.
Il ne nettoie pas la maison. Ni le linge.
Il s’occupe un peu du jardin.
Il peut parfois tapisser.
(…)