Ça se passait jadis,  J'écris, tu écris, il ou elle écrit...

Et si vous écriviez votre vie (suite…) ?

La lecture précoce

Je suis à l’école maternelle, en dernière section, dans la classe de madame H. Premiers souvenirs scolaires. Le tableau noir est parsemé d’images et de textes et je me rends compte que tout m’est accessible. En tout cas le monde de l’écrit. Je sais tout lire. Je sais que mes camarades devinent qu’un sens se cache derrière les hiéroglyphes et certains ânonnent péniblement un « pa ». Mais moi je sais lire. Depuis longtemps. Il y a des livres dans la classe. Et je sais les lire. Mais d’une vraie lecture. Fastoche ! La phase d’apprentissage du déchiffrement est passée. Comment a-t-elle eu lieu, d’ailleurs ? Mystère.

Au CP, je me régale dans la classe de monsieur D. Il est toujours plein de surprises comme cette fois où il nous a apporté sa clarinette et s’est produit devant nous, public émerveillé, riant aux éclats devant son numéro de clown. Et entre deux morceaux, il rit avec nous de cette situation cocasse.

Cher monsieur D. ! L’éducation, l’instruction, l’ouverture d’esprit, par l’exemple.

Nous sommes en 1960.

Le soir, mon père me demande parfois ce qui s’est passé à l’école et régulièrement, je lui raconte que j’ai été puni de « tours de cour » pendant la récréation. J’ai sans doute été turbulent, en fait vivant, ouvert à tout et croquant la vie ou, plus vraisemblablement, j’ai dû « faire le clown ».

Achille Zavatta

J’aime rire et faire rire. Déjà. D’ailleurs, mon père m’appelle « Clowclown ». Prononcer « cloucloune ». Ça me plaît assez.

Achille Zavatta est ma vedette préférée.

Je me suis toujours demandé si je me comportais comme un clown parce que c’est ce qu’on attendait de moi ou si c’est moi qui ai commencé. L’œuf ou la poule ? Je recherche toujours ce qui pourra faire rire.

Tous les jeudis, le jour de la semaine sans école, c’est la sortie du Journal de Mickey, Le magazine de bandes dessinées, un comics. Rien que le mot… J’ai lu la quatrième de couverture, la planche, la petite histoire, le gag, et dans la dernière image, Mickey se retrouve à terre, frappé à la tête par Minnie au moyen de son parapluie qu’elle y a laissé, brisé en deux. Minnie s’éloigne visiblement fâchée et Mickey esquisse un léger sourire. Son commentaire : « Aucun sens de l’humour ! ». Je ne comprends pas ce qui a déclenché l’ire de Minnie, je suis trop petit, mais j’entrevois la situation, j’entraperçois le contexte et je subodore alors la signification de ce mot : humour.

Le soir, en fin de repas, alors que nous sommes tous les quatre encore attablés, la situation est telle qu’elle me rappelle la quatrième de couverture. Ma mère est un peu fâchée, je ne sais plus pour quelle broutille.

Je me lance :

« Aucun sens de l’humour ! ».

Et c’est tout à coup l’hilarité générale !

Sans doute le décalage entre mon très jeune âge et cette phrase, adulte, qui semble procéder à une analyse de mœurs dans une situation familiale emberlificotée.

Je ressens que cette rigolade est empreinte du désarmement de la posture des adultes devant un bambin. Elle est teintée de surprise que je prends pour de l’admiration. Peut-être en était-ce… J’en éprouve une grande joie, je me sens fier. Je suis au centre de l’attention, j’ai fait rire, je suis sympathique, aimable.

Comme Achille Zavatta.

C’est extrêmement valorisant. Ce jour-là, j’ai reçu une promotion. Décharge d’hormones du bonheur. Alors une émotion s’ancre en moi. Mon inconscient l’enregistre, la classe dans le dossier récompenses et il la recherchera désormais souvent.

Je serai donc un joyeux drille.

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